Hard Candy – David Slade, 2005

15/09/2008

Hard Candy

Le retournement du monde

– Hayley (Ellen Page) et Jeff (Patrick Wilson)

par Kith

sur: http://insolitegrandiose.blogspot.com/2008/02/hard-candy-david-slade-2005.html


Le buzz qui entoure Juno (sortie française le 06/02), pour de multiples raisons (scénariste atypique, engouement du public, possibilité d’Oscar…), suscite un regain d’intérêt pour son interprète principale, Ellen Page. Laquelle s’est notamment illustrée dans le X-Men 3 de triste mémoire et l’excellent Hard Candy.

Présenté au festival de Sundance en 2005, Hard Candy y a suscité la polémique. Certains l’ont assimilé au shocker Saw projeté l’année précédente, d’autres ont (bruyamment) détesté, ulcérés notamment par la castration du protagoniste dont les testes sont ensuite passées au broyeur à ordure. Evidemment, dire qu’il s’agit là d’une des meilleures scènes du film pourrait prêter à confusion. C’est pourtant le cas, tant en terme d’interprétation que de ressort dramatique. Car Hard Candy est avant tout très bien écrit et très bien joué.

Le scénariste Brian Nelson part d’un postulat assez simple : renverser les modalités classiques de l’agression à connotation sexuelle. C’est la jeune fille à peine pubère, d’apparence naïve et inoffensive, qui entreprend de séquestrer et de torturer un prédateur en puissance. Une proposition qui pourrait vite virer à l’anecdotique, voire plonger dans la crétinerie gorno en se contentant d’en inverser les codes, si Nelson n’injectait pas une substantielle dose d’ambigüité et de subtilité dans son histoire.


Le réalisme du tchat entre les deux protagonistes qui constitue les premières images du film est un bon exemple de la justesse des personnages, justesse qui perdure lorsqu’ils tombent les masques (ou qu’ils en endossent d’autres). Car, sous son apparente simplicité, l’intrigue de Hard Candy, la jeune Hayley veut confondre et neutraliser Jeff, qu’elle pense être un pédophile et un assassin, recèle autant de fausses pistes (la castration sus-citée) que d’ambivalence.

Hayley semble gentiment ingénue, incroyablement cruelle, supérieurement intelligente, totalement insensée ou impitoyablement lucide, sans qu’on perce sa véritable nature. De même pour Jeff, est-il le monstre que pense Hayley ? Et même s’il l’est, mérite-t-il ce qu’elle lui inflige ? Alors même que ce qu’on croit être son châtiment ultime n’est finalement qu’un moyen de le ferrer définitivement.

Ellen Page et Patrick Wilson incarnent parfaitement ces personnages équivoques. A 18 ans, Page en paraît véritablement 14, légèrement androgyne, pleine d’une candeur enfantine teintée d’une froideur au-delà de la maturité. Patrick Wilson est à mille lieux du portrait fantasmé du prédateur sexuel en tant que monstre de foire et il n’en est que plus réaliste, et répugnant. C’est même sa normalité qui, au final, le condamne : il veut préserver son image et le souvenir d’un amour « vrai ».

En ne rentrant pas dans un schéma binaire « monstre absolu vs justicier solitaire » (du type « L’inspecteur Harry bute les pédophiles »), le film empêche l’identification évidente et la catharsis facile qui sont les moteurs de ce type de récit. Il se paie même le luxe de rester flou sur les motivations de Hayley, en plus d’offrir une fin ouverte et de ne pas esthétiser la violence.

Finalement, ce qui a peut-être le plus choqué, notamment la f(r)ange du public qui se targue d’être friande de « transgression » et qui ne redoute rien tant que ce qui la force hors de sa zone de confort, c’est la mise en images du renversement du rapport de domination. Outre que Hayley domine psychologiquement son opposant, le spectacle d’un homme en larmes suppliant une gamine de ne pas lui faire de mal est aussi rare que l’inverse est fréquent. Si cela en a mis certains sur de métaphoriques charbons ardents, nous ne pourrons que nous en réjouir.
Sans que ça n’épuise l’intérêt du film.

Q : Hard Candy respecte-t-il la « règle de Bechdel* » ?
R : Le film étant essentiellement un huis clos entre une jeune fille et un homme, on pourrait penser que non. Pourtant, une voisine (Sandra Oh) fait une courte apparition et parle de baby-sitting et de cookies avec Hayley ! Le réponse est donc oui.

Par kith.

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ndlr: J’ai choisi de confronter au point de vue « féminin » de Kith cette critique très intéressante et assez représentative des interventions masculines que j’ai pu lire à propos de ce film au hasard de mes pérégrinations sur google , très instructif (d’ailleurs je suis convaincue que si ce film avait été scénarisé ou mis en scène par une femme, l’accueil aurait été encore très différent)… Vous noterez le passage concernant l’utilisation de ce troublant édulcorant sémantique: « loliphilie » ?

Intervention d’un certain Marv (lue ici) :

« HARD CANDY de David Slade

L’histoire :


Un photographe trentenaire donne rendez-vous innocemment à une jeune collégienne innocente de 14 ans rencontrée sur Internet en toute innocence. Après lui avoir fait boire quelques cocktails innocents, la fillette va se révéler être une véritable tortionnaire et va innocemment torturer son hôte tout aussi innocent.

SAVOIR C’EST AUSSI COMPRENDRE

(…) Sur le sujet traité, le film est en fait si innovateur et si intelligent qu’il aide mieux à comprendre que tout ce qui s’est fait auparavant sur le thème au cinéma.
Et pourtant, le film a la lourde tache de succéder au Lolita de Kubrick (ainsi qu’a son remake de 97 par Adrian Lynn), lui-même adaptation du livre fondateur de Nabokov.
Alors quel est l’apport du film ?


Dans un premier temps, ne pas traiter le pédophile comme un monstre mais comme un être humain (de la même manière que l’on traite Hitler dans La Chute). Ainsi, non seulement le mal a visage humain est plus angoissant, mais en plus il fait poser des questions au spectateur, se rendant compte qu’en ayant le même parcours, il aurait pu aboutir au même résultat. Ensuite Slade fait, tout comme Kubrick et Nabokov avant lui, une différence, une nuance essentielle entre la pédophilie et la loliphilie.

Mais alors, cher lecteur, tu vas sans doute te demander qu’est-ce que la loliphilie ?
Et bien, c’est tout simplement être attiré émotionnellement et/ou sexuellement par des jeunes filles entre 12 et 16 ans (d’où une moyenne de 14 ans représentée dans le film), ce qui est totalement diffèrent de la pédophilie, n’importe quel médecin qui a fait un minimum de psycho vous en dira autant (même si le terme de loliphile a été remplacé dans les bouquins de médecine par « complexe de lolita »).


Slade marque aussi une différence nécessaire (et celle-là est innovatrice au cinéma) entre celui qui passera à l’acte, celui qui passera à la barbarie et celui qui restera voyeur toute sa vie, passif, et c’est le spécimen qui est montré dans le film. Sans jamais justifier la pédophilie, Slade insiste donc (et il fait bien) sur le pourquoi et surtout sur le comment un homme normal et banal (ça pourrait être n’importe qui) peut être atteint d’un complexe de lolita.


Ce propos une fois posé, Slade peut raconter comme il l’entend sa version ironique du petit chaperon rouge.

LE VRAI MONSTRE DU FILM


Et c’est là que ça devient diablement couillu et intéressant. D’ailleurs n’oublions pas qu’à l’origine l’histoire du petit chaperon rouge a été crée justement pour « subtilement » mettre en garde les gamines contre les grands méchants loups qui voudraient les bouffer crues. C’est donc un juste retour des choses, ou plutôt un sévère retour de bâton dans la gueule que de montrer que le monstre n’est pas forcément celui qu’on croit, mais est en fait celui qui avait le masque le plus innocent, celui de l’enfance.


Parlons donc de cette monstrueuse Hayley, la petite croque-mitaine conçue pour faire peur aux aimants à écolières. « si t’es pas sage, un jour tu tomberas sur Hayley et elle te coupera le service 3-pièces ! », c’est ainsi qu’on met en garde ces messieurs maintenant !


Une des plus grandes qualités du film est d’avoir fait de la gamine une pourriture plus vicieuse et dangereuse que ce qu’elle combat
. Car à mesure que le film passe, on réalise non seulement que le mec n’est jamais passé à l’acte, mais surtout qu’elle s’en fout royalement !



On le voit a partir du renversement de situation, elle prend même un malin plaisir à éxécuter son plan (qui d’ailleurs est révélateur de son immaturité puisqu’il ne fonctionne pas et qu’elle fait a peu près n’importe quoi dans les 20 dernières minutes du film).


Ce n’est donc pas d’une espèce de justice divine ou même morale dont il est ici question mais bel et bien d’une psychopathe ultra-violente, sanguinaire et sadique qui s’amuse à torturer physiquement et psychologiquement son adversaire dans sa propre maison. Certes il a un passé trouble. Certes il a été témoin d’un meurtre qu’il a été incapable d’empêcher. Certes il a fait boire quelques cocktails à une ado sans doute avec des intentions malveillantes. Mais il n’a rien fait qui mériterait dans un tribunal la peine de mort ou même la prison à vie. La soi-disante justice qui s’abat sur lui n’est donc qu’une vengeance aveugle se défoulant sur le premier venu pou peu qu’il montre certaines tendances.


En termes de valeurs et de morales, le spectateur ne peut donc pas raisonnablement ni se fier à la gamine, puisque c’est la méchante du film, ni au pédophile puisque nos préjugés et nos tabous nous inculquent que ce sont avec les nazis les pires représentants de l’espèce humaine. A ce moment-là, le réalisateur ne juge aucun des personnages (et heureusement) et offre donc 2 choix au spectateur : celui de se mettre dans le camp d’un des deux personnages puisqu’ils sont tous deux à la fois attirants, monstrueux et humains (et du coup identifiables), ou alors faire le choix conscient comme le réalisateur de ne pas juger les 2 personnages du film (ce qui serait stupide puisque ce sont des personnages fictifs) et de les appréhender comme n’importe quel personnage.

Ainsi le spectateur mâle s’identifiera automatiquement qu’il le veuille ou non au personnage de patrick wilson lors de l’incroyable scène de l’émasculation, qui même elle se révele être fictive (quel soulagement !), a des répercussions épidermiques importantes sur le spectateur. En d’autres termes, on se tient l’entre-jambe en imaginant l’incroyable souffrance de devoir subir cette perte, filmé avec énormement de tact et resséré sur lui a tel point qu’on a l’horrible sensation de subir cette opération nous-mêmes. Sachant que c’est pour un homme a peu près le pire choc traumatique qu’il peut avoir sur sa personne physique, imaginez mesdames alors a quel point on est scotché au film, et d’autant plus ravi quand on se rend compte que le gars est entier.


On comprend peu après qu’il a le choix entre s’échapper ou se venger de cette rencontre traumatisante. En optant pour la seconde voie, on comprend que personne n’est innocent et que ce qui se joue dans cette maison c’est un duel de gens dont la place est en hopital psychatrique et nulle part ailleurs. D’où un final presque décevant puisque forcément injuste et frustrant.

CELUI QUI A EMPRISONNE LE DIABLE DANS UN CORPS D’ANGE


(…) La classe.
L’intelligence de Slade vis-à-vis de ses contemporains est ainsi comparable à celle de Fritz Lang, le premier réalisateur a avoir en gros traité de la pédophilie et c’était rappelons-le dans M. Le Maudit. Comme dans Hard Candy, le film si il dénonce aussi de la monstruosité du pédophile (mais c’est alors plus grave, le bonhomme étant un vrai serial-killer à filletes), il y fait surtout une attaque incisive et brutale du peuple, de la masse rendue folle et en particulier ses criminels qui s’organisent pour attraper le pédo, et l’éxécuter. Lang faisait alors comprendre aux spectateurs que les tueurs ne valent pas mieux que le pédophile qu’ils ont tué. Les fillettes restent mortes, aucune véritable justice n’a été rendue, et le mal n’est pas vaincu si on ne combat que ses symptômes. Un propos qui est passé totalement à des kilomètres du public de son époque, au point que le film fut très apprécié par le IIIème Reich, Hitler et particulièrement Goebbels qui adora le film juste parce que le pédophile était condamné a mort. Lang se rend bien compte, horrifié, qu’ils n’ont rien compris au film (qui vomit le fascisme de son époque, rappelons-le, les criminels n’étant rien d’autre qu’un réseau fasciste).


Tout ça pour dire qu’on peut aimer le film en passant totalement a coté de son message qui est de dire : le monstre n’est pas celui que vous croyez
, vous n’avez aucune idée de ce qu’il est réelement et si vous ne le comprenez pas en vous abaissant a son niveau (ou pire) de barbarie physique alors vous ne valez pas mieux que lui. « 

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*La règle de Bechdel

samedi 12 janvier 2008

par Kith

sur http://insolitegrandiose.blogspot.com/2008/01/la-rgle-de-bechdel.html

La règle dite « de Bechdel » fait référence à un comic strip créé il y’a de ça presque 20 ans par la dessinatrice Alison Bechdel (Dykes to watch out for, Fun Home)*. La règle est énoncée par une des protagonistes de son strip et elle lui a été soufflée par une de ses amies, Liz Wallace, mais elle porte tout de même son nom ! Elle concerne le cinéma et les revendications qu’on peut avoir vis-à-vis des films.

La règle énonce « trois exigences simples », un film doit :

1/ avoir au moins deux personnages féminins qui…

2/ parlent ensemble de…

3/ quelque chose qui ne soit pas un homme. **

Dans la bande dessinée en question, cette règle sert au personnage à déterminer le genre de film qu’elle souhaite aller voir. Même dans un contexte plus global, il ne s’agit pas du critère ultime et indépassable pour déterminer si un film est bon ou (vaguement) féministe ou les deux ou quoi que ce soit d’intermédiaire. Il est cependant notable que les films (les grosses machines hollywoodiennes comme les productions plus confidentielles) satisfont rarement à cette règle.


Cela souligne cruellement la vision du monde d’une majorité de réalisateurs : un univers peuplé d’hommes qui font des trucs d’hommes (être en proie aux affres de la création, massacrer des gens, copiner avec des robots géants, sauver le monde, etc.) avec, éventuellement, des auxiliaires féminines : mère, sœur, épouse, copine, scientifique à la grosse poitrine… qui n’existent qu’en tant qu’elles se définissent par rapport au(x) protagoniste(s) masculin(s).
Le fait que le milieu du cinéma (dirigeants des studios, réalisateurs, scénaristes) soit très peu féminisé n’y est certainement pas pour rien.

Par ailleurs, la notion selon laquelle une histoire mettant en scène principalement des femmes occupe une niche particulière est toujours prégnante : les histoires « universelles » étant des histoires d’hommes, qu’il s’agisse d’être en proie aux affres de la création, de massacrer des gens, de copiner avec des robots géants et/ou de sauver le monde.

Cette idée vaut pour pratiquement toutes les formes de récits (voire, d’art) mais elle est particulièrement efficiente dans le cas du cinéma, qui est un art (parfois) et une industrie (souvent). Dans ce contexte, une rumeur selon laquelle Warner Bros. a décidé d’arrêter de produire des films avec un homme comme personnage principal est tellement absurde qu’elle ne peut pas se propager, mais l’inverse peut être crédible (avant démenti).

Pourquoi faire des films pour ce qui est considéré comme un marché de niche (les femmes, qu’il faut encore subdiviser par âge) quand les histoires « universelles » attirent un public plus massif et plus varié ? (voire, susceptible de retourner voir 300 ou Transformers trois ou quatre fois).
Parce qu’en appliquant la règle de Bechdel Transformers (3ème au box-office US) et 300 (8ème au box-office US) n’existent plus ? Cela peut constituer une raison suffisante pour un(e) cinéphile de bon aloi, mais pas pour les caïds de Paramount et de Warner.

La règle de Bechdel sert aussi à souligner l’immobilisme et le conformisme des productions cinématographiques, eut égard à la représentation des sexes.


Nota : Il est possible de faire un bon film (de genre) mettant en scène uniquement des hommes, mais il faut s’appeler John Carpenter. ***

* Voir le strip d’Alison Bechdel extrait de Dykes to watch out for : The Rule

* Récemment, elle a gagné en notoriété après un passage sur les blogs féministes US, notamment Pandagon.

** I only go to a movie if it satisfies three basic requirements. One, it has to have a least two women in it, who, two, talk to each other, about, three, something beside a man.

*** The Thing (1982). Notons tout de même que MacReady trouve le moyen d’insulter l’ordinateur qui le bat aux échecs et dont la voix est féminine (Adrienne Barbeau) !

Une Réponse to “Hard Candy – David Slade, 2005”

  1. Nicotrip Says:

    Très très bon article, très complet.
    Il est en effet rare de pouvoir avoir un vraie critique d’un film.


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